L'arrestation de Linaya
Linaya avait rejoint, parmi les autres seigneures d'arcanes du Clan de la Louve Bleue inspiré par les amazones qui le composaient, le groupe des femmes et hommes de sa tribu qui s'étaient rassemblés à Qeramish dans le caravansérail de cette vieille ville aux abords de Balad-al-Jamah.
Elle s’apprêtait à prendre la direction de l'opération du clan dans l'infiltration commandée par Voladim el-Moldari, récemment débarqué dans la ville avec sa flotte et qui avait sauvé Balad d'une déconvenue extraordinaire face à Atka'ab, à l'aide des Gardes-Rokks qui avaient rejoint son allégeance dans l'espoir de voir refleurir Gandariah. La mission qui lui était confiée consistait justement à propager une nouvelle dans la glorieuse Lazareth, une ville impressionnante, renommée, où s'étendait la plus grande bibliothèque et les plus hauts savoirs de l'empire, que les mazdim avaient pris soin de vérouiller à l'approche des troupes moghûls lors de leur conquête du Shadiraï.
Cette nouvelle si cruciale, car Voladim était le dernier espoir militaire d'une résurrection de l'empire de Gandariah, était une offre qu'il faisait officiellement à Yakal Khagan, sur le trône d'Izkandaraï, et pour lequel il avait besoin de défenseurs animés d'une puissance de résilience. Il s'agissait pour Linaya de partir à la conquête d'un groupe de savants de la ville à qui proposer de prendre en charge la diffusion du message de Voladim dans le Coeur-Royaume. Un message inédit, et au combien inattendu.
Voladim el-Moldari, longtemps observateur de Pélaboria, qui, avec ses nombreux sultanats lui avait posé tant de problèmes de piraterie, avait observé soigneusement une société discrète, la Société du Masque, et notamment ses sectateurs de la cité dont on dit qu'elle en fut l'investigatrice: Eleutherpe.
Il avait écouté avec attention comment cette ville avait adopté un traité des droits fondamentaux.
Voladim proposait désormais à Yakal Khagan d'accepter une réforme ambitieuse par laquelle il le gratifierait du titre d'empereur de Gandariah. Oui, rien que ça, si Yakal acceptait cette réforme, il avait une ouverture pour pacifier le front avec Voladim, et même en obtenir l'allégeance. Cette réforme, était une innovation de premier ordre dans le modèle même de la société Gandari, en ce qu'elle était porteuse d'un idéal laïc.
C'était l'offre inconditionnelle aux peuples administrés d'un Traité des Droits Universels, conçue collégialement par les grands esprits de l'empire, et notamment par les savants de Lazareth. Un traité des droits universels. Une idée qui bousculerait considérablement l'impact possible de la puissance kshayatrim, à travers la Horde Noire, sur le Coeur-Royaume.
Linaya était accompagnée de Xynna, l'amazone des steppes qui avait tant sacrifié de combattantes pour sauver un village proche d'une invasion de vanaras, d'Albiuza, la kahina qui avait averti Balad-al-Jamah de l'emplacement de la flotte d'Atka'ab. TOus les trois seigneures de clan, seigneures chacune de leur tribu respective qui toutes reconnaissaient une allégeance à Gorazma, l'émire du clan.
Alors que se tenait la dernière réunion fébrile des préparatifs, il était question de traverser des contrées commandées par les Hordes Noires kshayatrim de Yakal Khagan, s'approcha un personnage qui souleva l'intérêt de la princesse des voleurs Linaya, un personnage aperçu une fois, et qui avait capté le souvenir de celle-ci.
Le visage connu de Jilna Shaïbi, sans qui rien de toutes les mésaventures du clan de la Louve Bleue ne serait arrivée, mais sans qui l'introduction de ce même clan à la cour du Triumvirat aurait été rendue impossible par un manque d'utilité publique. Jilna Shaïbi avait protégé un jeune courtisan contre les sermons et les admonestations des fellazzarites, dans le souk de Balad al-Jamah, et le clan de la Louve Bleue était venu à son aide.
Vous raconter les conséquences de ce geste serait trop long, ici...
Jilna était accompagnée d'une femme vêtue de pourpre, entièrement voilée et armurée, porteuse de sabres et de pistolets.
Shaïbi pris la parole, devant le groupe rassemblé, ici médusé par cette rencontre à plusieurs jours de caravane de Balad.
- Où se trouve la dénommée Linaya, parmi vous? C'est au nom du clan des Sept Mille, que j'implore votre bienveillante et honorable recommandation.
- Le clan des Sept Mille? Interrogea Xynna l'amazone.
- Le clan des Sept-Mille a été formé suite au départ de nombreux réfugiés shadirites et alamites de Balad al-Jamah, pour garantir la sécurité des derniers d'entre eux, restés sous la protection du triumvirat et de Voladim el-Moldari, à qui la ville est liée par pacte militaire. Il est garanti par les douze vizirs d'assurer la charge de sécuriser le respect des droits traditionnels de dignité matérielle au bas-peuple de la cité.
- Sont-ce des républicains? Demanda Albuiza.
- Les orientations politiques du clan des Sept-Mille n'ont rien à voir avec ma venue, et de plus, celles-ci ne sont pas en cause dans la garantie accordée par le Triumvirat. Pouvez vous répondre? Où est Linaya?
- C'est bien moi, répondit courtoisement cette dernière. Je suis ravie de vous recevoir, mais nous nous apprêtons justement à quitter la ville pour le Coeur-Royaume, et c'est une mission qui nous a été confiée par le Regus Voladim.
- Que votre noble clan de la Louve des amazones du Khagarsaï n'en prenne pas ombrage, chère Linaya, mais il y a un mandat d'arrêt contre vous émanant du Cadi de Balad-al-Jamah. Je suis venue accompagnée d'une vengeresse de clan de haute réputation, et qui vous pris de la suivre pour honorer votre responsabilité devant les membres de la communauté.
- De quelle responsabilité parlez-vous? Opposa Linaya.
- De celle, dit la femme en rouge, d'être princesse des voleuses, et que toute votre tribu soit corrompue par des activités de recel et d'espionnage au sein de la ville de Balad.
- C'est entièrement faux!
- Vous en répondrez devant le Cadi, Linaya. Rassurez-vous, la peine n'a pas encore été prononcée. Je ne suis pas venue vous tuer.
La femme pourpre se tenait droitement, mais semblait en effet détendue, bien qu'on pouvait s'attendre à ce que son grade laisse envisager une prompte riposte en cas de geste inconsidéré.
Le clan de la Louve Bleue palissait tout entier à l'écoute d'un tel propos, qui mettait en lumière la corruption, et l'usage rentable qu'ils faisaient de la revente des biens des migrants. Ils étaient secoués sérieusement et certains n'attendaient qu'un geste pour dégainer et fondre sur la vengeresse.
Gorazma leur adressa un geste d'apaisement, une main levée qui réclamait le calme. Elle se leva et pris son rôle d'émire à bras le corps, la situation étant tendue.
- Je suis Gorazma, émire du clan de la Louve Bleue. Je vous assure notre dévouement au Triumvirat, et notamment nos bons services envers le vizir Uzkudär. Est-il possible que le cadi de Balad passe au dessus d'un ordre de mission émanant du Régus Voladim? Celui-ci garanti notre clan d'un devoir de nous rendre au Coeur-Royaume instamment, et j'ai confié la direction de la caravane à Linaya. Je réclame sa présence.
Jilna Shaïbi repris la parole.
- Vous opposez-vous à la décision du cadi, du triumvirat et de l'ordre public au nom des devoirs de votre clan? Vous pouvez accepter les conditions légales, et vous y soumettre en confiant la direction de cette charge à l'une ou l'autre de vos seigneures. Rien ne l'interdit. NOus ne remettons pas en question votre autorité ni votre mission. Le cadi réclame la mise aux arrêts provisoire de Linaya afin d'établir sa responsabilité.
Linaya se tourna vers Gorazma.
- Je vais suivre la vengeresse, puisqu'il en est ainsi, et ce maudit cadi. La Confrérie en répondra, et qui de droit.
Elle se leva et épousta son armure de cuir. Elle déposa ses armes devant la vengeresse en prenant soin de détâcher tranquillement les attaches de son fourreau. Elle pris soin également de lever son bras, et de crocheter la lame dissimulée qui se trouvait attachée à son bras gauche. Par un dernier effort, elle déposa le talisman qui ornait son buste, et qui devait avoir un rôle que la décence ne lui permettait pas d'user devant la suprême autorité du cadi. Elle avala sa salive et pris une puissante respiration.
- Je vous suis donc, Jilna. Jurez-vous de protéger ma vie contre la vengeresse lors de notre voyage vers Balad?
- Je vous le jure en toute honnèteté, et vous remercie humblement, Linaya. Répondit Jina Shaïbi.
L'affaire était conclue. Gorazma réuni les seigneures du clan pour déterminer qui prendrait finalement le commandement de la caravane. Xynna était en colère. Elle perdait une précieuse alliée dans la mission, elle qui s'exposait, en tant qu'amazone, à des infamies de la part des moghûls, ses ennemis jurés.
Un peu plus tard, sur la route de Balad al-Jamah, Linaya qui avait la tête dans les épaules, portée par son dromadaire, retenue par des cordages de fibre aux poignets, s'adressa à la vengeresse pourpre.
- Il me semble que nous n'avons pas encore été présentées? En tant qu'éxécutrice de la loi vous vous devez d'annoncer votre identité si la mort n'est pas prononcée, aux vues de la jurisprudence.
- Mon nom est Emret Bar Jaraï et nos regards se sont déjà croisés depuis que vous avez pris place auprès du vizir Uskudär, pour lequel je suis en service commandé. Vous avez entendu parler de moi dans la Confrérie. Je suis votre protectrice, et bienveillante introductrice auprès d'Ouliboun pour la mission qui le concernait, lorsque votre clan s'est formé.
- Emret. Quelle ironie. Vous m'arrêtez et je me laisse prendre alors que tout a commencé au Palais des Délices, par votre introduction discrète. Et votre geste fatal. Eh bien. S'il en est ainsi c'est certainement encore le vizir Uskudär qui se décide à me jouer un de ses nouveaux tours si fourbes.
- Un tour qui pourrait tourner en votre faveur, ma chère, lui glissa Jilna depuis le dos de son étalon. Il ne faut jamais manquer de voir un procès, ou même une arrestation comme une action désagrable qui peut se révéler devenir une opportunité. Vous seriez-vous souvenu de la Conspiration du Venin, qui, il y a quelques temps a promis la mort de votre chère Gorazma? Vous avez peut-être moyen de rentrer en contact avec l'assassin arrêtée par l'amant de celle-ci la nuit ou elle tenta de nuire à ses jours. La conspiration du venin vous proposera certainement de conclure la Sombre Allégeance pour votre salut. Il y a là une vraie chance pour vous de choisir votre camp, et de vous laver définitivement, avec l'appui des membres de la Confrérie introduits à la cour...
Le sourire entendu de Jilna signa qu'elle savait que tout cela était vrai.
Encore une mission du Triumvirat.