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La geôle de Sayuddin

Publié le par Fabien Maisonneuve

 

Sayuddin

 

A travers les rues endolories de ma chère cité, je marchais pieds nus, les poignets saignants le long des fers.

Hamilcar m’avait accordé la grâce d’une tunique pour m’exposer. On me faisait descendre du tréteau du haut duquel sanghkorites et tuariks m’avaient malmené de leurs langues acerbes. “Oisillon tombé du nid” avaient-ils clamé. “On l’oubliera comme la brise d’été”. Hamilcar, suffète de Bilal désormais, avait choisi pour moi la prison à vie. A vie, mais il s’agissait surtout d’y mourir.

On m’emmena à la tour des hurlements. Le couloir sombre et humide empestait la pisse et la souillure. Le cliquetis des clefs des gardiens sonnaient dans cette accoustique comme une diablerie de tintamarre. Le crissement du panneau des barreaux. Je regardais à l’intérieur de la pièce obscure. J’y vis, à la lumière d’une meurtrière la silhouette d’un enfant de douze ans tout au plus. Il se tenait là, debout, les pieds écorchés. J’eu un regard pour le gardien de prison. Il savait pourtant que j’étais le fils héritier de la lignée unique du Mazighan. Faisant un pas en arrière il leva le menton vers la geole. Au moment d’avancer mon pied droit, il donna un petit coup derrière mon mollet gauche, qui me fît reposer lourdement ma jambe en mouvement. Puis il referma derrière moi.

 

-- Comment t’appelles-tu?

-- Izmaïl. Et toi?

 

Cela me fit sourire. C’était la dernière chose que je pensais pouvoir arriver. Surtout après avoir entendu le message d’espoir des zéphyrs.

 

-- Sayuddin.

-- Oh! le Sayuddin fils d’Hamma’ani ibnatu Bareka al-Qabil? Oh…

-- S’il te plait petit n’ébruite pas trop le...

 

Je venais de réaliser l’impact de mon enfermement.

 

La fenêtre était haute. Il y avait un banc.

 

-- Puis-je, Izmaïl?

-- La grâce sur toi mon roi! Je vais t’aider.

 

Je plaçais le banc à hauteur de la meurtrière, et je contemplais la ville aux lumières du chien-loup.Je sentais toute la mélancolie de ceux qui nous étaient restés fidèles. Le parfum roux de leur miséricorde était aussi rassurant que le bois égrenant ses couches dans les flammes. Montant sur le banc et me tenant là, face au mur, je fermais les lieux et laissa une prière m’envahir. J’étais vivant. Hamilcar devait d’abord gagner la bataille symbolique de l’amour du peuple. Il s’était servi de la violence. Mais à son grand damne, il m’avait doté d’un perchoir. Et que fait un oisillon perché sur la ville quand il a faim de vie?

 

Je posais ma main sur mon oreille droite, pour entendre le son de ma voix résonner dans ma tête, afin de mieux ajuster le ton.

“A Balad al-Jamah, chante une poétesse,

Au milieu des sources des quartiers en liesse.

Brumeuse, demeurant à jamais dans les profondeurs froides

Elle étale les vers des derviches des poètes.

Et quand les coeurs entendent cette douceur d’albâtre

Couler des fontaines, ils portent la foi, ornant leurs petites têtes.

 

Voici venir la voix de la Belle de l’Ouest,

La cité où la neige rappelle à nos promesses

Quand vient le long soir et aux petits matins

La voix entonne pour les coeurs un destin.

 

Un prince auprès duquel les miracles abondèrent,

Le fils d’une reine aimée par un peuple brave et fier,

Au milieu des bruits du supplice de nos âmes

Chantera, pour vous rappeler leur blâme,

Les chants d’été aux orages apaisants,

Ceux où la Sentence n’est pas notre diamant.

 

Un prince a-t-il assez de vérité en lui

Pour parler à mon cœur comme l’oiseau le ferait?

Mon peuple, mon âme, depuis ici je te rappellerai

Que nos destins sont tissés d’une maille indéfectible

Comme le sirat qui couvre nos collines.

 

Sayuddin est vivant te diront les zéphyrs

A cause d’Hamilcar les houris vont frémir

“Libères-moi” dit l’âme entre les murs étroits

Ce chemin de parole, je ne le donne qu’à toi.”



 

J’avais choisi pour ce chant une tonalité mélancolique. Un rythme lancinant et prolongé les voyelles. En chantant je sentais les poils de mon dos se redresser comme si les éprouvés de la conquête de Bilal se redressaient, je savais tout l’espoir que j’inspirai.

 

Tu ne gagneras pas cette bataille Hamilcar. Le Seigneur de toute choses m’a donné le chant et la poésie. Ici, tu m’offres un écrin. De partout viendront les échos de ma voix. Celle que le coeur anime. Celle de la fraîche essence du peuple mazighanî. Mon unique arme musicale fera tomber les murs de ta puissance factice. Qu’il en soit ainsi.

 

Izmaïl, me voyant descendre du banc tenait les deux mains repliées l’une sur l’autre, et, les ouvrant, libéra une abeille.

 

Cela me fit sourire mais je ne savais pas pourquoi.

 

-- Que faisait cette abeille dans tes mains, petit?

-- Je suis le meilleur pour cela disait mon sire.

-- Comment cela?

-- Je travaillais pour un apiculteur, comme pupille.

-- Tu as ramené cette abeille avec toi en prison?

-- Chhhhhuttt!!!

 

L’enfant agita doucement ses doigts pianotant dans un mouvement ample des bras, dessinant un ciel au-dessus de sa tête. Son rire fin d’enfant en disait déjà long.

 

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